TRAUM-A est un projet d’étude de l’histoire et du ressenti de villes traumatisées par le passé et de ses habitants dans le cadre d’une recherche artistique.
C’est une odyssée paysagère qui prend sa source dans la notion de trauma. Ce chamboulement, cette blessure, physique ou psychologique. Cet impact du monde sur le corps et l’âme des hommes.
A l’origine, une rencontre, celle du chorégraphe-danseur Sofian Jouini et du metteur en scène-musicien Guillaume Bariou. Complices de travail depuis de nombreuses années, collaborant au sein des productions de l’un ou de l’autre, ils décident de lancer une recherche mêlant leurs pratiques et leur sujets de recherches, un travail itinérant au long-cours.
Vous trouverez ici pêle-mêle les artefacts de notre recherche.
« Retour à Agadir n’est pas un documentaire, encore moins un film touristique. Si je devais « le raconter », je dirais qu’il s’agit de la brève course d’une mémoire présentée sous l’apparence d’une statue en plusieurs mouvements. Si cela paraissait insuffisamment clair, j’ajouterais que les strophes qui composent Retour à Agadir constituent un ouvrage fermé. » Mohamed Afifi
IMPRESSIONS (Session#1 nov 2018)
Cela fait soixante-dix ans bientôt que la terre a recouvert d’un épais manteau minéral la vie qui grouillait là où l’Atlas plonge dans l’Océan Atlantique. Cela fait soixante-dix années que la vie a été stoppée nette à Agadir. C’était le 29 février 1960. Agadir, cette ville qui n’a rien d’une ville « fatale » , comme on le dit d’une femme dont la séduction opère au premier coup d’oeil, est une ville qui a réussi à se relever. Dernier port avant le grand désert du Sahara, elle ne pouvait que devenir immense dans un monde de réseaux, d’échanges et de vitesse. Agadir est à la fois une fourmilière, une ruche et une étape pour les oiseaux migrateurs. Une faune bigarrée foule aujourd’hui cette région du Souss-Massa. Des marocains de tout le pays viennent y mener leurs activités. Les gens du sud, les Sahraouis, viennent y faire leurs études et travailler. Les « hirondelles » européennes viennent y couler une retraite heureuse, ensoleillée et vitaminée. Les surfeurs du monde entier viennent glisser sur les ondes sans fin de ses spots, parmi les plus prisés au monde. C’est riche, c’est varié ; c’est un peu le chaos aussi. Un chaos à l’image de ce qui se passe en profondeur, dans le monde des failles.
Elles sont cinq, elles parcourent le sous-sol d’une terre sur laquelle se sont érigés ces mondes imbriqués. Elles dorment et ronflent depuis soixante dix ans. Elles éternuent de temps à autre. Mais leur sommeil semble profond. Chut ! Il ne vaut mieux pas les évoquer, de peur de les réveiller, tout comme on réveille les djinns en prononçant trois fois leurs noms. Mieux vaut les oublier peut être, comme si elles n’étaient que le fruit de l’imagination des anciens. Les hommes et les femmes qui les connaissent, ces failles, il en reste bien peu. Ils crient dans le vacarme assourdissant des marchands et des klaxons. Ils crient qu’elles sont bien là, sous nos pieds, ces failles, et qu’un beau jour, elles se réveilleront à nouveau. On ne dort pas pour l’éternité. Mais ils sont bien vieux les gardiens du souvenirs, et la ville semble assourdie par le fourmillement des hommes. Peu d’oreilles pour entendre leurs paroles, peu de souvenirs pour les morts, malgré la présence de quelques lieux de mémoire. A Agadir, la planète semble pointer un endroit où les échelles humaines, minérales, géologiques se croisent. La Nature est un livre, à lire, à imaginer, à respecter, et dont on ferait mieux de se souvenir.
Salam cinéma (Session#1 nov 2018)
Le cinéma Salam, à la limite sud du Quartier industriel est un des bâtiments qui a résisté au Tremblement de terre de 1960. Selon les témoignages de certains, le dernier film projeté la nuit du tremblement de terre était «Godzilla». Quand la ville s’est mise à trembler, les spectateurs ont bien cru que le monstre en personne était venu détruire Agadir.
PISTE D’ECRITURE (session#1 nov 2018)
« If you’re looking for trouble
You came to the right place. »
Elvis Presley, Trouble
Godzilla, l’enfant du japon, est revenu pour terroriser les rives du Souss Massa. La créature antédiluvienne en a fini avec la ville d’Agadir, devenue ruine sans printemps. Le tout sur une musique du King en personne. King of the Monsters VS King Créole. Cinéma Marhaba VS cinéma Salam. L’affiche du jour. Puis Godzilla, plus radioactif que jamais, trace sa route vers les rives d’Anza, décor de western berbère. A l’ouest, l’océan. De l’autre côté les montagnes. Rien de mieux à faire que de retourner à la mer en écrasant quelques dinosaures au passage. Plonger en provoquant un dernier raz de marée d’un unique mouvement de queue et tenter de se faire oublier. Tout a été si vite. Les habitants n’ont rien pu faire. Les soldats français non plus. On ne capture pas ce monstre. Godzilla raids again. Avec toute sa démesure primitive. L’homme n’a aucune prise sur lui. Un enfant crie que « le monde entier est tombé » et il a raison. Une odeur forte de poisson flotte au milieu des pierres et des corps. Le sol est constellé de sillons dans le Talborjt.
« Quelle heure est il ? »
Il est quinze secondes et quelques longues heures.
« Combien de temps suis-je resté enfoui, à demi mort, avant de sortir dans ces rues, couvertes
de corps ? Le film est-il fini ? Où est passé le dragon ? »
« Il est parti » répondent en choeur tous les autres. Sèches tes larmes et relèves tes manches.
Pierres….
« Ainsi vous êtes mon ancêtre ? Et cette pierre la-bas, ne serait elle pas ma grand mère ?»
Kharïr Eddine, Agadir
« Combien de temps cela dura t-il,
Dix secondes ? Plus ? Moins ?
Ou fût-ce sans temps – le temps ayant cessé, ayant perdue son étendue précise. »
Peter Lundkvist, Agadir